Prix Savoir


Marguerite MacKenzie

Marguerite MacKenzie

Memorial University of Newfoundland
Lauréate du prix Savoir de 2013


Marguerite MacKenzie, lauréate du nouveau prix Savoir de 2013, a eu l’occasion, au début des années 1970, de vivre pendant plusieurs mois avec une famille crie du Nord du Québec, près de Mistissini.

« Nous vivions dans une tente, et les gens trappaient le castor et chassaient le caribou, raconte-t-elle. Quand on a connu le mode de vie traditionnel, on veut tout faire pour le préserver. »

Mme MacKenzie, qui enseigne la linguistique à la Memorial University of Newfoundland, a passé plus de 40 ans à apprendre la langue innu et à travailler à sa sauvegarde.

Son projet de recherche, « Connaissances et ressources humaines pour le développement de la langue innu », a ouvert la voie à l’Innu Language Project, qui a publié le premier dictionnaire innu-anglais-français. Comptant plus de 27 000 mots, ce dictionnaire est considéré comme étant le dictionnaire le plus complet à ce jour pour une langue algonquienne. « Il suscitera un sentiment de fierté à l’égard de la langue, explique Mme MacKenzie. Les gens parlent l’innu à la maison, mais ils voient tous ces beaux livres en anglais ou en français à l’école, alors qu’il n’existe pas d’équivalent dans leur langue. »

Selon Mme MacKenzie, environ 18 000 personnes du Québec et du Labrador parlent la langue innu, l’innu-aimun. La chercheure a d’abord étudié le cri de l’Est, dialecte connexe, dans le Nord du Québec en 1968, puis elle a travaillé avec des locuteurs de l’innu et du naskapi dans le cadre d’un programme de formation des enseignants. « L’un de nos projets consistait à créer un petit dictionnaire pour chaque communauté, simplement pour se pratiquer à écrire et à traduire en anglais », précise-t-elle.

Au cours des décennies qui ont suivi, des dictionnaires innu-français ont été conçus à l’intention de plusieurs communautés du Québec, dont un par la corédactrice de dictionnaires José Mailhot, mais ils ne répondaient pas aux besoins de tous les locuteurs, en particulier ceux du Labrador, qui parlent l’anglais comme langue seconde. Trente ans plus tard, grâce à un financement du Conseil de recherches en sciences humaines et à un partenariat entre le Département de linguistique de la Memorial University, des linguistes de la Carleton University, l’Université du Québec à Montréal, le Mamu Tshishkutamashutau Innu Education School Board du Labrador et l’Institut Tshakapesh (organisation innu du Québec), Mmes MacKenzie et Mailhot, en s’appuyant sur leurs travaux antérieurs, ont élaboré un dictionnaire complet accessible aux peuples innu des deux provinces dans les trois langues.

Disponible en ligne et en édition imprimée, le dictionnaire contient des extraits audio et des illustrations. L’Innu Language Project offre de la formation linguistique et des glossaires adaptés à des milieux de travail pour pallier le manque d’interprètes de langue innu spécialisés en droit, en environnement et en santé. La chercheure souligne que le projet a permis de concevoir du matériel didactique de niveau primaire, y compris plus de 40 livres pour enfants en innu-aimun.

Mme MacKenzie insiste sur l’importance de préserver la langue pour les prochaines générations. « Si un enfant va à l’école en n’ayant aucune connaissance de l’innu, il sera de plus en plus coupé d’une composante importante de son héritage, poursuit-elle. Il pourrait être incapable de communiquer avec ses grands-parents ou d’autres proches plus âgés pour qui l’anglais n’est pas la langue première. Il serait ainsi privé d’un riche vocabulaire que seuls les Innu possèdent pour décrire le monde. Beaucoup d’aînés souhaitent désespérément transmettre leur savoir aux plus jeunes, mais ces derniers ne sont pas nécessairement préparés à le recevoir. »

Marguerite MacKenzie et son équipe de recherche en sont aux dernières étapes de révision d’un glossaire de termes médicaux en innu. Elles ont aussi conçu des applications mobiles du dictionnaire innu pour les téléphones intelligents et les tablettes et elles travaillent à d’autres livres pour enfants et exercices linguistiques interactifs en ligne.

« Les langues autochtones sont porteuses d’une grande richesse sur le plan culturel et constituent une part extrêmement importante du patrimoine canadien. Il y a beaucoup à découvrir en se familiarisant avec ces langues, que l’on fasse ou pas l’effort de les parler. »