Au‑delà du chemin de fer clandestin
Le projet Terre promise dévoile l’histoire oubliée des Noirs
Bien que les livres d’histoire n’en fassent pas mention, l’histoire des Noirs du 19e siècle a joué un rôle majeur dans le développement social et économique du Canada. Grâce à un projet multidisciplinaire mené en Ontario et intitulé Terre promise : Expérience de liberté des Noirs de Chatham‑Kent, nous en savons aujourd’hui bien plus sur le sujet.
« Au Canada, l’histoire des Noirs s’est limitée jusqu’à ce jour au mythe du chemin de fer clandestin, a expliqué Boulou Ebanda de B’béri, professeur à l’Université d’Ottawa et l’un des chercheurs qui mène le projet. Ce mythe a toujours été considéré comme le point culminant de l’histoire des Noirs, ce qui n’est pas le cas. »
De 2007 à 2012, le projet Terre promise a permis de rassembler des spécialistes en études culturelles, en communication, en histoire et en études théâtrales dans le but de mettre à jour et de faire connaître l’histoire oubliée des Noirs canadiens. Il a notamment engendré 45 conférences, ateliers et symposiums, 25 entrevues avec les médias, 10 sites Web, 6 documentaires et 2 représentations dramatiques. Il a aussi entraîné la création de cinq bases de données, dont un système d’information géographique qui fonctionne comme une machine à voyager dans le temps virtuelle en superposant les renseignements historiques et culturels du passé aux cartes satellites actuelles de Chatham‑Kent.
Les chercheurs ont travaillé directement avec des résidents de Chatham‑Kent, surtout des jeunes. Au cours d’une période de cinq ans, plus de 146 étudiants du secondaire ont pris part au projet de diverses façons, notamment en participant à des visites sur le terrain, en effectuant des recherches sur l’histoire de leur famille et en écrivant des pièces de théâtre.
Quoiqu’essentiel, cet engagement communautaire a entraîné certains défis. « Pour mener notre projet à bien, nous avons dû fouiller dans des histoires personnelles ‑ des histoires que tous ne sont pas forcément prêts à partager, a remarqué M. de B’béri. Par exemple, certaines personnes ne veulent pas admettre que leurs ancêtres étaient maîtres d’esclaves. »
Toutefois, une fois la conversation lancée, tout a changé. « Des jeunes se sont intéressés à l’histoire de leurs ancêtres, ont découvert certaines relations et ont posé des questions, a précisé le chercheur. Des tas de petites histoires familiales ont été révélées, alimentant ainsi le dialogue au sein de la communauté au sujet de l’identité culturelle et raciale de chacun. »
Selon M. de B’béri, le dialogue suscité par le projet est extrêmement pertinent pour le Canada d’aujourd’hui, car il souligne des inégalités raciales qui perdurent. « Il y a quelques années, nous parlions de fonder des écoles pour les Noirs, à Toronto, a‑t‑il rappelé, alors qu’au 18e et au 19e siècle, les Noirs canadiens se battaient pour faire partie de la société et envoyer leurs enfants à l’école. Pourtant, nous parlons encore aujourd’hui de ségrégation raciale dans les écoles. Voilà pourquoi nous devons poursuivre cette recherche! »
Grâce au système d’information géographique et à d’autres mécanismes, les responsables du projet Terre promise prévoient étendre l’engagement communautaire et rapprocher les générations dans l’ensemble du pays.
« Ce projet se concentre sur le sud de l’Ontario, mais des histoires similaires ont également été vécues en Nouvelle‑Écosse, en Alberta et en Colombie‑Britannique, a conclu M. de B’béri. Ces histoires sont vraies partout au Canada. »